De l'inattaquabilité des arrêts des cours militaires opérationnelles en droit judiciaire répressif congolais : regard croisé à la constitutionnalité et aux droits fondamentaux garantis aux citoyens .
Par Obed Socrate Kongolo
0. LIMINAIRE
Il arrive, quelquefois, que certaines situations inopinées soient susceptibles de paralyser la vie de la nation ou de la mettre en péril ; à l'instar des rébellions, guerres ...
Face à des telles situations, l'idée primordiale de tout État est de prendre des mesures appropriées afin d'annihiler ces dernières car elles peuvent entrainer un statocide. Et pendant des telles périodes , les forces armées sont censées mener des opérations militaires car la défense nationale fait partie de ses attributions.
En effet, pour aider les forces armées de mener à bien ses opérations, les pouvoirs publics peuvent faire accompagner ces dernières des juridictions militaires dotées d'un pouvoir répressif en vue de connaître des faits infractionnels qui seraient perpétrés dans ces zones dites opérationnelles.
Il s’agit, conformément à loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant code judiciaire militaire, des " cours militaires opérationnelles ".
Ainsi , pour mener à bien cette étude , débutons par les considérations générales sur les cours militaires opérationnelles.
1. Considérations générales sur les cours militaires opérationnelles.
À première vue, l'institution des cours militaires opérationnelles parmi les juridictions militaires est prévue par l'art 1 de la loi suscitée qui recense toutes les juridictions militaires.
En effet, comme nous l'avons dit ci-haut, en cas de guerre ou de toutes autres circonstances exceptionnelles de nature à mettre en péril la vie de la nation notamment les menaces de guerre, de rébellion ou d’insurrection armée, il est établi dans les zones d’opération de guerre, des Cours militaires opérationnelles qui accompagnent les fractions de l’armée en opération. (2) Il s'agit des juridictions ponctuelles attendu qu'elles ne fonctionnent pas de manière permanente. (3)
L'implantation de ces cours militaires opérationnelles est faite par ordonnance présidentielle et s'agissant de leurs compétences matérielle et territoriale, ces dernières connaissent, sans limite de compétence territoriale, de toutes les infractions relevant des juridictions militaires qui leur sont déférées. (4) En clair, le ressort des cours militaires opérationnelles s'étend sur l'ensemble du territoire national.
La cour militaire opérationnelle siège au nombre de cinq membres dont un magistrat de carrière au moins, ils sont autant que possible revêtus de grade d’officiers supérieurs. Et comme toute juridiction, elle siège avec l'assistance d'un greffier et le concours du ministère public. (5)
Par rapport à son rang dans l'ordre pyramidal des juridictions militaires , elle a rang de cour militaire. Les arrêts des cours militaires opérationnelles ne peuvent conformément aux arts 87 ,276 et 279 de la loi susvisée, faire objet d'aucune voie de recours. Donc aucun nouvel examen d'une affaire tranchée par une cour militaire opérationnelle ne peut avoir lieu. De ce fait, notre regard est tourné alors vers la constitutionnalité de ces dispositions législatives suscitées à la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour et aussi, à leur impact sur les droits fondamentaux garantis aux citoyens.
Tel est en somme le contour de notre inquiétude .
2.L'inattaquabilité des arrêts des cours militaires opérationnelles : inconstitutionnalité ou constitutionnalité ?
Faisons d'abord observer à première vue que la constitution est, et demeure la loi suprême de chaque entité étatique. Cette primauté implique sa suprématie matérielle que formelle sur toute autre loi.
En effet, l’art 21 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 dispose que : le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous. Il est exercé dans les conditions fixées par la loi. En outre, l’art 61 point 5 renchérit en prescrivant que les droits de la défense et le droit de recours ne peuvent en aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution, faire objet d’une quelconque dérogation.
Toujours en termes de surplus , l’art 156 de la dite constitution dispose qu’en temps de guerre ou lorsque l’état de siège ou d’urgence est proclamé, le Président de la République, par une décision délibérée en Conseil des ministres, peut suspendre sur tout ou partie de la République et pour la durée et les infractions qu’il fixe, l’action répressive des Cours et Tribunaux de droit commun au profit de celle des juridictions militaires. Cependant, le droit d’appel ne peut être suspendu.
En clair, il est évident que tous ces articles susvisés prônent fermement et expressément l'exercice des voies de recours contre toutes les décisions entreprises par les cours et tribunaux.
Cependant, malgré cette prescription constitutionnelle, la loi portant code judiciaire militaire prévoit le contraire quant aux effets des arrêts des cours militaires opérationnelles.
L'art 87 de cette loi dispose que les arrêts rendus par les cours militaires opérationnelles ne sont susceptibles d'aucun recours.
En outre , les arts 276 et 279 de la même loi viennent encore confirmer cette inattaquabilité en écartant les arrêts des cours militaires opérationnelles de toute opposition, tout appel, tout pourvoi en cassation voire de toute révision : d’où la contrariété des articles précités aux articles 21, 61 point 5 et 156 de la constitution. Et une autre cruauté encore , cette loi n'a rien prévu sur la rectification des erreurs matérielles ainsi sur l'interprétation des arrêts de cette cour ; chose qui n'est pas pareille à l'inattaquabilité des arrêts de la cour constitutionnelle par exemple.
Eu égard à ce conflit matériel, certains juristes avancent le principe selon lequel : " spécilia Generalibus dérogat " pour justifier cette dérogation.
Notre avis . En ce qui nous concerne, il sied d’abord de signifier que la loi précitée a été élaborée et promulguée sous l'ère de la transition, avant l'élaboration et la promulgation de l’actuelle constitution de la république démocratique du Congo.
La constitution actuelle a été mise sur pied postérieurement à cette loi. Ainsi pour ce qui est de l’argument avancé par ces derniers, peut-on déduire que la suprématie matérielle de la constitution ne s'étend pas sur les lois antérieures ? Donc la constitution ne rétroagit pas ?
La réponse, elle ne peut être que négative. Car, une loi postérieur à la constitution qui contient des dispotions contraires à cette dernière , ne peut en effet être applicable .
Ceci s’explique même en se référant à ce qui est prescrit à l’article 215 de la constitution quant à la primauté des traités et accords internationaux sur les lois nationales . La primauté des traités , conformément à l’article 215 de la Constitution, englobe les lois antérieures et postérieures . Ainsi , il y a évidemment lieu de faire observer que la constitution prime même sur les lois antérieures .
Et sur ce nous avons donc le courage scientifique de dire que l'invocation du principe spécilia Generalibus dérogat par rapport à cette situation serait inconcevable et c'est à tort que certains Juristes l'invoquent .
Ainsi , au regard des articulations faites ci-dessus , il y a donc lieu pour nous d’évoquer sans aucune équivocité l’inconstitutionnalité des arts 87 , 276 et 279 de la loi susmentionnée , étant donné que la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour n'a nullement fait état d'une exception par rapport aux arrêts rendus par les juridictions militaires en temps de guerre. Au demeurant, l'art 156 de la constitution semble être plus tranchant.
Ainsi une révision de cette loi en vue de la faire conformer à la norme constitutionnelle sera importante .
Cette exemption des arrêts des cours militaires opérationnelles à l’exercice des voies de recours présente aussi un danger à la garantie des certains droits fondamentaux des citoyens. D’où la nécessité de l’analyser.
3. l’inattaquabilité des arrêts des cours militaires opérationnelles face aux droits fondamentaux des citoyens : quel rapport ?
À l'heure actuelle, tout état qui se dit démocratique prône la sauvegarde et la garantie impérative des droits des citoyens. Les droits humains sont , dès nos jours, incommensurablement codifiés .
Nombreux des textes juridiques préconisent et défendent à tout prix les droits garantis aux particuliers notamment : le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la sécurité ...
En ce qui concerne les droits humains relativement à la justice, différents textes juridiques prônent le droit à un procès équitable, et ce droit à un procès équitable implique :
• l’égalité des armes entre parties ;
• le droit à l’assistance judiciaire ;
• le droit au juge de former un recours contre un jugement ; etc.
Parmi ces textes juridiques internationaux nous pouvons citer : la charte africaine des droits de l'homme et des peuples, la déclaration universelle des droits de l'homme de l'ONU , directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judicaire en Afrique ...(6) Sur le plan interne, aussi, la constitution consacre un bon nombre d'articles relatifs aux droits humains.
En effet, comme nous l'avons dit, les articles 87 , 276 et 279 de la loi citée ci-dessus, prônent l'inattaquable des arrêts des cours militaires opérationnelles, alors que le droit de former un recours contre un jugement est impérativement garanti par différents textes juridiques. D'où il y a lieu de faire observer cette répugnance ou apathie de ces dispositions du code judiciaire militaire par rapport aux droits à un procès équitable. En préconisant l'inattaquable des arrêts des cours militaires opérationnelles, nous nous posons certaines questions très cruciales notamment : Quel serait le sort d’un prévenu qui ne comparaitrait pas pour une cause légitime ?
Quel serait le sort d’une partie au procès qui estimerait que le juge de première instance a mal dit le droit ?
Quel sera le sort d'un arrêt rendu par une cour militaire opérationnelle qui violerait la loi ou qui contiendrait des interprétations legilslatives erronées ?
Qu'adviendrait-il lorsque l'une des causes du pouvoi en révision serait révélée par rapport à une affaire qui avait fait l'objet d'un arrêt de la cour militaire opérationnelle ? (7)
Prenons l'hypothèse de la condamnation d'une autre personne pour un fait qui avait déjà entraîné antérieurement la condamnation d’une autre ; le condamné devrait toujours subir une peine dont il n'a pas été auteur de l'infraction qui a entraîné cette condamnation ?
Il serait injuste et contraire même au droit lui-même de punir toujours une personne alors que l'auteur réel du fait a été déjà découvert et condamné pour ce même fait. Au demeurant, le pouvoir judiciaire est, lui-même, le garant des droits fondamentaux des citoyens.
Une telle situation ne peut que remettre en cause la crédibilité de la justice ainsi que son progrès. Ainsi, un recours devant la haute cour militaire serait important pour le compte d'une justice équitable et prometteuse.
Et en ce qui concerne d’autres questions soulevées ci-haut, nous constatons le fait pour le législateur d’attribuer la perfection aux arrêts des cours militaires opérationnelles, alors que les œuvres humaines n’ont jamais été parfaites .
De ce fait, nous pouvons recommandé au législateur d’organiser le régime d’attaquabilité des arrêts rendus par les cours militaires opérationnelles .
Cette attaquabilité ( s’agissant des voies de recours ordinaires bien évidement ) devrait se faire de cette manière :
Dans l’hypothèse où la cour constitutionnelle ayant rendu cet l’arret est toujours en place , que les voies de recours , que les voies de recours s’exercent par devant elle .
Dans l’hypothèse où la cour militaire opérationnelle qui avait rendu l’arrêt est désintallée , que les voies de recours s’exercent devant la cours militaire du ressort d’installation de la cour militaire opérationnelle qui avait rendu l’arrêt , attendu que les cours militaires opérationnelles ont rand des cours militaires .
4. Péroraison
Que retenir à l’issu de cette analyse ancrée sur une thématique harassante ?
Il sied d’abord de rappeler que cette analyse était axée sur la question de l’inattaquabilité des arrêts des cours militaires opérationnelles. Elle avait pour question technique : la compatibilité de cette inattaquabilité à la constitution, aussi son impact sur les droits subjectifs garantis aux particuliers. Face à cette problématique, nous avons réfléchi de la manière suivante :
L'inattaquabilité des arrêts des cours militaires opérationnelles est, à notre humble avis , inconstitutionnelle. Cela s'explique par le fait que la constitution défend de manière impérative et lucide le droit de former un recours contre un jugement. Cependant , certains peuvent se demander pourquoi alors la même constitution prévoit l’inattaquabilité des arrêts de la cour constitutionnelle .(8) Eu égard à cette question, il sied de faire mention de la volonté expresse du constituant, il a voulu ainsi, et par consequent sa volonté devrait être respectée . D’où la maxime latine « ubi lex noluit dixit, ubi voluit tacuit ».(9))
Par ailleurs L'éminent juriste KALUBA DIBWA DIEUDONNE opine cependant que le problème se posera chaque fois qu'un justiciable ordinaire suivra le chef de l'Etat ou le premier ministre devant la cour constitutionnelle par le mécanisme de la participation criminelle .(10) Ce pauvre justiciable , poursuit-il, sera condamné de manière irrémédiable sans une possibilité de recours pourtant reconnu à tous les autres citoyens .(11) Loin d'être une question de constitutionnalité , c'est l'égalité des citoyens devant la justice qui est rompue et qui entraine une incohérence systémeique . Afin de palier à cette imposture juridique , il pense qu'il faut organiser une chambre d'appel à l'intérieur de la cour constitutionnelle . (12)
Éléments bibliographiques
1. Parmi ces mesures y a notamment l’état de siège, l’état d’urgence, le couvre-feu …
2. Art 18 de la loi n°023/2002 du 18 novembre 2002.
3. Luzolo Bambi Lessa, Manuel de procédure pénale, presse universitaire du congo, kinshasa, 2011, pp113.
4. Art 19 de la loi n°023/2002 du 18 novembre 2002.
5. Art 20, idem.
6. Art 10 de la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU , art 26 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples , art 2 point j des directives et principes sur le droit a un procès équitable et a l’assistance judicaire en afrique .
7. Pour plus de détails sur la notion du pourvoi en révision en droit congolais , voir NYABIRUNGU MWENE SONGA , Traité de droit pénal général congolais , éditions universitaires africaines , collection Droit et société , deuxième édition , 2007 , kinshasa , page 429-437 .
8. Art 158 de la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision des certains articles de la constitution de la RDC .
9. C’est-à-dire : quand la loi a voulu quelque chose , elle l’a dit ; quand elle ne l'a pas voulu ,elle s’est tue .
10. Dieudonné Kaluba Dibwa , la justice constitutionnelle en république démocratique du congo : fondement et modalités d'exercice . Edition EUCALYPTUS , aHarmattant , Kinshasa , 2013 . page 497 .
11. Idem .
12. Ibidem.
13 . Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la constitution de la République démocratique du Congo, in JORDC, Kinshasa , numéro spécial du 5 février 2011 .
14 Loi n°023/2002 du 18 février 2002 portant code judiciaire militaire .
15 . PAUL N’DA, recherche et méthodologie en sciences sociales et humaines, le harmattan, PARIS, 2015.
À vous qui lisez cette présente analyse, l’auteur vous présente ses remerciements. Il attend de vous des suggestions et remarques. Merci !
Hamdoulillah !
Spiritus !